Le droit du divertissement est aujourd’hui un champ de pratique confirmé et bien circonscrit. Il intéresse un nombre grandissant d’avocats et de chercheurs tant dans les pays de tradition civiliste que de common law. Une foule de revues juridiques, d’associations de juristes et de centres de recherche s’y consacrent. Et les cabinets qui affichent une compétence particulière en la matière sont nombreux.
Il y a déjà plusieurs années que le terme droit du divertissement s’est imposé. Il s’est d’ailleurs imposé sans débat, à tout le moins sans débat public. Il y a bien eu quelques discussions en privée soulignant que le terme pouvait être réducteur, mais rien pour remettre en question son utilisation. L’expression, une traduction littérale d’entertainment law, semble donc s’être installée d’elle-même dans le langage juridique québécois.
Le domaine n’était pas précisément délimité avant la création de l’Association des juristes pour l’avancement de la vie artistique (Ajava) et de l’Observatoire du droit du divertissement qui en ont proposé conjointement la première définition. Affinée et retravaillée, elle a été reprise dans le seul texte consacré à ce sujet, un texte paru en 2003 en préface des Développements récents en droit du divertissement.
Ce domaine de pratique fédère plusieurs champs d’expertise légaux. Essentiellement, il regroupe le droit d’auteur et la propriété intellectuelle (l’utilisation de l’expression propriété littéraire et artistique, consacrée en France, serait peut-être plus adéquate), le droit de la communication et des médias, le droit de la culture et des industries culturelles et le droit de la publicité et des marques de commerce. À ces quatre secteurs peut également se greffer le droit des sports.
Une caractéristique du droit du divertissement est l’étendue de ses champs d’intérêt. La pratique s’identifie plus à un milieu, à un secteur de la vie en société qu’à une pratique juridique donnée. Un avocat ou un chercheur spécialisé dans ce domaine peut aussi bien s’intéresser au droit du travail, aux droits fondamentaux, au droit commercial, au droit des obligations qu’au droit criminel. Il peut se consacrer autant aux politiques culturelles, au droit à l’image, au droit à la vie privée qu’aux sociétés de gestion de droit d’auteur.
En Europe, et particulièrement en France, on rechigne à utiliser le terme droit du divertissement parce qu’il «peut paraître incongru voire inapproprié d’un point de vue français», comme l’écrit sur son blogue consacré au domaine un certain Benjamin. Au fond, le débat oppose culture populaire et culture élitiste. La seule vraie culture «serait la culture des élites sociales, les cultures populaires n’en étant que des sous-produits inaccomplis», explique Denys Cuche dans son ouvrage La notion de culture dans les sciences sociales.
Le droit du divertissement est pourtant le dénominateur commun à une foule de secteurs aussi variés que ceux des arts visuels, du théâtre, du cinéma, de la télévision, de la radio, de la presse et du livre. Il englobe les industries de la culture et de la communication, le milieu de la publicité et, par extension, celui des sports. Il permet de rassembler tous ces domaines sous une seule et même appellation.
Le divertissement offre une ombrelle sous laquelle peuvent s’abriter bon nombre de domaines du droit qui ont en commun la spécificité du secteur économique auquel ils appartiennent. Les praticiens du secteur ont tout intérêt à regrouper leurs forces puisqu’ils sont confrontés à des problèmes semblables qui touchent le plus souvent des industries aux structures apparentées et particulières.
Le terme divertissement rend compte d’une réalité plus large que ceux de culture et communication (comme dans ministère de…), sans les exclure. Il est également plus court et permet la création de sous-domaines d’expertise cohérents. Il obtient d’ailleurs l’adhésion du plus grand nombre à cette condition de demeurer un terme générique qui permet d’appréhender un certain nombre de réalités distinctes, mais pas forcément cloisonnées.
Au Québec et aux États-Unis, la pratique du droit du divertissement est mieux assise qu’ailleurs dans le monde et également moins remise en question pour des raisons idéologiques. On y recense un grand nombre de publications qui rendent compte de son évolution, quelques associations qui regroupent ses artisans et au moins deux centres de recherche qui lui sont consacrés.
Le Norman Lear Center, implanté au sein de l’Annenberg School for Communication de l’Université de Californie du Sud, est un centre de recherche multidisciplinaire voué au divertissement sous toutes ses formes. Les travaux des chercheurs qui y oeuvrent depuis sa fondation en janvier 2000 portent principalement sur la convergence de la culture, du divertissement et des médias et sur l’impact du divertissement sur le commerce et la société.
L’Observatoire du droit du divertissement s’intéresse, quant à lui, à tous les aspects du secteur. Il offre sur son site quelque 500 pages d’information réparties géographiquement entre le Canada, les États-Unis, la France, le Québec et les institutions internationales. Il s’intéresse depuis bientôt six ans aux arts, à la culture et aux médias par le biais d’une veille juridique qui porte notamment sur la liberté d’expression, la déontologie journalistique, les contraintes légales touchant les industries de la culture et de la communication et les politiques culturelles.
Outre l’Ajava, il existe un certain nombre d’associations dans le domaine du droit du divertissement. Elles se trouvent principalement aux États-Unis. L’association estudiantine Entertainment & Sports Law Society est basée à l’Université de Miami. Le Barreau de la Floride a une section consacrée au domaine, l’Entertainment, Arts and Sports Law, ainsi que l’American Bar Association avec son Forum on the Entertainment & Sports Industries.
Quelques revues juridiques se spécialisent dans l’étude du droit du divertissement. Elles traitent aussi bien des questions juridiques liées aux arts, à la culture qu’aux médias. On peut mentionner le Columbia Journal of Law & the Arts (New York), l’une des plus anciennes et des plus connues, le Cardozo Arts & Entertainment Law Journal (New York), une revue juridique pionnière fondée en 1982, et la Loyola of Los Angeles Entertainment Law Review qui est publiée depuis plus de vingt ans.
Il en existe plusieurs autres tout aussi spécialisées, notamment le Fordham Intellectual Property, Media & Entertainment Law Journal (New York), l’Entertainment & Sports Lawyer (San Francisco), le Journal of Art & Entertainment Law (Chicago), la Texas Review of Entertainment & Sports Law (Austin), le Vanderbilt Journal of Entertainment Law & Practice (Nashville) et le Virginia Sports & Entertainment Law Journal (Charlottesville). Et c’est sans compter les revues sectorielles qui s’intéressent à l’un des aspects particuliers du divertissement, tels que le droit d’auteur ou de la communication.
Au cours des dernières années, le droit du divertissement a fait son entrée à l’université. Il est enseigné d’une façon ou d’une autre dans la plupart des grandes facultés de droit. Le secteur ne se cherche plus et n’est plus en phase de structuration. Les praticiens du domaine ne sont pas dans la position de Paul Gauguin qui, dans l’une de ses toiles les plus célèbres, se demandait D’où venons-nous? Que sommes-nous? Où allons-nous? (1897-98, Musée des beaux-arts, Boston). Le droit du divertissement est un domaine reconnu et organisé qui poursuit son développement vers la maturité.
* Ce texte est reproduit avec la permission de l’auteur: Louis-Philippe Gratton, «De l’enfance de l’art à la maturité», Le Monde juridique, vol. 16, n° 9, 2007, p. 18.